Putty-Hill.jpgUn film de Matthew Porterfield - Prix du Jury au Festival International de La Roche-sur-Yon

C’est un film d’une beauté sidérante et neuve sur un sujet, un univers que l’on pourrait croire rebattus, revus, rabâchés par le cinéma : cette jeunesse laissée pour compte des classes moyennes populaires américaines, des banlieues moches et impersonnelles, celle des films de Larry Clark ou Gus Van Sant, entre autres. Nous sommes à Baltimore, la riante ville portuaire du Maryland (les fans de The Wire apprécieront), plus précisément dans une de ses banlieues oubliées : Putty Hill, un quartier résidentiel pourri où les piscines gonflables sont remplies d’objets hétéroclites, bien loin d’un monde policé fait de pelouses impeccables et de barbecues rutilants prêts à servir pour les garden-parties. Une ambiance dépressive et déprimante qui rappelle que c’est à Baltimore qu’Edgar Allan Pœ a vécu ses derniers instants… C’est d’ailleurs pour un enterrement que l’on retrouve un groupe d’adolescents et de jeunes adultes. Certains habitent toujours là, d’autres sont revenus après une longue absence, il sont réunis pour rendre un dernier hommage à un jeune homme brutalement disparu d’une overdose.

Dès le premier plan, celui d’un garçon qui découvre le paintball et vient de retirer son masque, on comprend à quel point le film va être baigné d’une incroyable poésie et d’une mélancolie baudelairienne. Le garçon est le frère du défunt et dans son regard infiniment triste et hagard, on voit le désarroi d’une génération à qui on n’a pas eu le temps d’apprendre à réagir face à un tel événement. On pourrait croire à une relative indifférence de ces jeunes qui continuent de vaquer à leurs occupations (la baignade dans un marigot, la glande, le skate, le graf, les virées en bagnole à toute berzingue, l’alcoolisation rapide sur fond de country lancinante) mais celle-ci ne cache que le profond désespoir qui va finalement souder la communauté dans une solidarité magnifiquement décrite, tout en tonalités impressionnistes.

Pour parvenir à la révélation de cette vérité nue, le réalisateur organise une mise en scène d’une telle sensibilité, d’une telle proximité qu’on pourrait se croire dans un film documentaire. Le film est pourtant bel et bien une fiction, construite collectivement avec plusieurs des comédiens, pour la plupart des non-professionnels du quartier, avec des dialogues très souvent improvisés. À la manière d’une enquête destinée à reconstruire les bouts de la vie du jeune disparu avant qu’il ne soit trop tôt oublié mais aussi à aider les vivants dans leur deuil, le réalisateur balade son micro et sa caméra auprès de ceux qui l’ont connu et qui parlent non seulement du malheureux mais aussi d’eux-mêmes. Notamment dans cette scène fascinante où une jeune fille est interviewée, pelotonnée dans sa tristesse, à l’arrière d’une voiture lancée à vive allure et vitres grand ouvertes. Et il y en a beaucoup d’autres, des séquences aussi justes et inspirées, qui construisent une vision qui passe de l’ombre à la lumière, du désespoir aux prémisses d’une renaissance : après ces funérailles, nul ne sera tout à fait le même…

La séquence d’anthologie reste celle de la veillée funéraire, la première fois où l’on voit le visage du défunt, sur une photo posée sur le comptoir. Une veillée qui se transforme en soirée karaoké un peu surnaturelle, et qui nous rappelle combien le deuil peut permettre à chacun de redécouvrir l’amour de ses proches et même de ses moins proches, en tout cas de se regarder, et de regarder les autres, avec un peu plus de compassion. Dans ce moment bouleversant, Matt Porterfield atteint le génie et l’émotion sans phrase des nouvelles de Raymond Carver…

USA - 2010 - 1h27 - VOSTF - 1,08 Go résolution DVD - ED distribution - avec Sky Ferreira, Zoé Vance, James Siebor Jr., Dustin Ray, Cody Ray, Charles “Spike” Sauers…