Cabeza-de-Vaca.jpgUn film de Nicolas Echevarria, écrit avec Guillermo Sheridan, d’après le récit d’Alvar Nuñez Cabeza de Vaca.

Il a y a fort à parier que, si un fâcheux incident n’avait pas interrompu provisoirement sa carrière, le destin d’Alvar Nunez Cabeza de Vaca eut été fort semblable à celui de ses plus célèbres collègues conquistadors : Herman Cortez ou Francisco Pizarro, respectivement tombeurs des empires aztèque et maya. Autrement dit un destin de serviteurs, fidèles mais intéressés, de la Cour d’Espagne et du Saint-Empire Germanique (nous sommes, dans cette deuxième décennie du xvie siècle, sous le règne de Charles Quint) qui, pour remplir d’or les caisses des galions espagnols, n’hésitèrent pas à pratiquer un terrible génocide sur des populations indigènes qui ne s’en relevèrent jamais, le tout avec la bénédiction d’une église catholique pour qui la conversion forcée des autochtones s’accompagnait de l’élimination physique des plus récalcitrants. Simplement, en cette année 1528, l’existence de Cabeza de Vaca, honorable trésorier impérial envoyé explorer les rivages inconnus de Floride, bascule brutalement. Une partie de sa flotille fait naufrage, laissant les survivants tellement affamés qu’ils pratiqueront le cannibalisme, totalement abandonnés sur une terre bien loin des fastes de l’Empire aztèque, une terre de marais habitée par une population lacustre vivant de chasse et de pêche et qui s’empresse de massacrer la majorité des conquérants, ne faisant qu’une poignée de prisonniers dont un esclave noir, deux autres compagnons d’armes et Cabeza de Vaca lui-même. C’est là que va commencer pour lui une fantomatique errance de huit ans qui, de séquestration en évasion, de rencontres mystiques en fuite vers les montagnes les plus inhospitalières, va le mener, par la seule force de son inébranlable volonté, jusqu’aux rivages du Pacifique mexicain, en passant par les actuels états du Texas et de l’Arizona, soit à peu près 4000 km parcourus à pied !

Le magnifique film du mexicain Nicolas Echevarria, resté inédit jusqu’à ce jour, réussit le tour de force d’égaler la folie hallucinatoire du Aguirre ou la colère de Dieu de Werner Herzog, tout en distillant un puissant réalisme documentaire sur les peuples précolombiens (même si cela reste passablement aléatoire, la plupart des peuples indiens côtoyés par De Vaca ayant disparu aujourd’hui). Echevarria, ancien documentariste qui a passé plusieurs années au milieu des populations indigènes du Mexique, a vu le périple de Cabeza de Vaca non comme un voyage vers l’enfer mais comme un voyage vers une autre vie, une vie parallèle pour celui qui était venu civiliser l’autre et qui de fait doit tout apprendre des civilisations indiennes pour survivre. Un pas de côté, au départ involontaire et subi, qui va l’amener, auprès d’un chaman qui a fait de lui son esclave, à maîtriser des savoirs magiques qui peu à peu vont lui permettre de s’intégrer dans des sociétés qui lui sont totalement étrangères. Avec une caméra contemplative composant des plans fascinants, Echevarria présente une vision saisissante du chamanisme indien, fait de mauvais sorts jetés aux ennemis, de longues séances de guérison voire de résurrection, et aussi de consommation abusive de substances hallucinogènes en tout genre…

Mais au-delà de cette vision ethnologique, qui donne légitimement son temps au temps, bien loin de l’épopée historique trop linéaire, le parcours de Cabeza de Vaca, c’est surtout une histoire de rencontres : celle avec l’incroyable chaman nain et manchot qui a fait de lui son souffre-douleur mais qui est bouleversé quand il finit par partir, ou celle avec un jeune prince qu’il sauve de la mort. De toutes ces rencontres avec le peuple indien, naît, malgré la violence des guerres inter-tribales et des rites parfois meurtriers, une incroyable douceur confinant à la tendresse et à la sensualité. Et quand, huit ans après, De Vaca retrouve enfin ses compatriotes, c’est chargé d’une connaissance qu’il ne pourra malheureusement pas partager avec ceux qui seront les massacreurs d’une civilisation qu’il a fini par tant admirer.

Mexique - 1991 - 1h47 - VOSTF - 1,39 Go résolution DVD - ED distribution - avec Juan Diego, Daniel Giménez Cacho, Roberto Sosa…