Eastern-plays.jpgÉcrit et réalisé par Kamen Kalev - Grand Prix au Festival Premiers Plans d’Angers en 2010

Au-delà du simple récit, c’est une peinture sans illusions de l’état des lieux et du devenir contemporain de l’Europe qui se dégage de cette œuvre. En ce début du XXIe siècle, le continent semble être hanté par le nihilisme, la confusion, la perte de repères et le repli identitaire. Toutes les péripéties vécues par les protagonistes et, au-delà, l’ambiance même du milieu décrit, semblent donner raison à la jeune Isil, qui, au détour d’une conversation, se désole d’une impression funeste, du sentiment d’une maladie de l’âme qui va peut-être, à terme, provoquer une catastrophe générale. Par touches impressionnistes, Kamen Kalev trace au couteau les contours d’une réalité sociale déliquescente. Il y a dans l’œil de ce jeune cinéaste bulgare une hypersensibilité qui rend ses personnages fa­miliers en très peu de plans, et sa justesse de ton s’allie à un réel talent dans la description d’une forme de dérive triste et poétique, comme le prouvent les vingt dernières minutes du film.

Quoi qu’en dise son réalisateur, qui prétend que son film aurait pu être tourné à Berlin ou à Paris, les meilleurs films qui nous parviennent de l’autre côté de l’ancien mur sont les meilleurs témoins des bouleversements, mutations qu’ont subis les anciens pays de l’Est durant ces vingt dernières années mais aussi des traumatismes de l’histoire qui n’en finissent pas d’imprégner l’inconscient collectif des peuples. Un réalisateur comme Wajda a accompagné par son cinéma l’espoir qui est monté en Pologne depuis les Chantiers de Gdansk, le cinéma roumain n’en finit pas d’ausculter, parfois avec ironie, son passé policier et ceaucescien et le cinéma russe, quand il parvient à être indépendant, n’en finit pas d’analyser l’explosion des valeurs dans un pays gangréné par le consumérisme et la violence. Mais que sait on de la Bulgarie ? Il est donc tout à fait passionnant de découvrir ce film qui témoigne justement de la vie à Sofia, dans une Europe balkanique qui n’a pas fini d’exploser.

Itso est un gaillard un peu bohème, un peu porté sur la fête, la drogue, qui se veut sans attaches (probablement pour mieux cacher sa fragilité), qui a rompu avec ses parents et qui tente de contenir l’affection débordante de sa fiancée, avec qui il aimerait avoir une relation libre de tout engagement. Un mec effectivement cynique comme on en croise dans de nombreuses villes européennes. Et puis la vie bascule quand il vient au secours d’une gentille famille turque (avec notamment une splendide jeune fille aux yeux plus limpides que les lacs d’Anatolie dont il tombe rapidement amoureux), sauvagement agressée par un groupe de néonazis dont fait partie son petit frère Georgi, un adolescent livré à lui-même et surtout aux premières fripouilles racistes venues : celles qui sont du style, à Sofia comme ailleurs, à aimer la musique oï, à arborer des croix gammées et à trouver dans les stades de foot un exutoire facile…

Kamen Kalev, à travers les choix et la caractérisation de ses personnages, montre brillamment deux Bulgarie : celle qui est victime du marasme économique, repliée sur elle-même, haineuse et raciste ; et celle ouverte vers l’extérieur, qui aspire à découvrir ses voisins même turcs, pourtant ennemis jurés. Porté par une mise en scène très fluide, qui sait créer des ambiances originales et envoûtantes, Eastern plays doit aussi énormément à la prestation de Christo Christov, magnifique de charisme mais aussi de fêlures. Une attitude pas feinte puisque l’acteur est mort d’une overdose juste avant la fin du tournage. Kamen Kalev lui a évidemment dédié sont film…

Bulgarie - 2009 - 1h25 - VOSTF - 1,12 Go résolution DVD - Épicentre Films - avec Christo Christov, Ovanes Torosian, Saadet Isil Aksoy, Nikolina Yancheva, Ivan Nalbantov, Krasimira Demireva…