Un film de Jos Stelling, écrit par Will Hildebrand et Jos Stelling. C’est une vraie, une grande redécouverte. Un peu comme le Edvard Munch de Peter Watkins. Le Rembrandt de Jos Stelling date d’ailleurs à peu près de la même époque et s’impose lui aussi comme une œuvre rare, profondément originale et marquante.
Rembrandt fecit 1669 (c’est la signature apposée par le peintre peu avant sa mort sur le dernier de ses autoportraits, conservé à la National Gallery à Londres) est un film rare, un film magistral qui nous fait avancer à la fois dans la connaissance de l’art et dans celle de l’homme. Ce n’est pas une biographie : Rembrandt est supposé connu au départ (quelques sous-titres aident le spectateur à identifier les lieux et les hommes). C’est une lecture de l’œuvre à partir d’une création cinématographique pensée comme une fiction.
Le référent historique est certes continuellement présent – ne serait-ce que dans l’évocation de quelques tableaux phares, de la Leçon d’anatomie au portrait collectif des Syndics des drapiers, en passant par l’incontournable Ronde de nuit, ou dans le vieillissement physique de Rembrandt ou de ses compagnes – mais il n’est à aucun moment l’objet du film. Il balise simplement une démarche qui tente de saisir les mécanismes de la création, les troubles et les émotions d’un artiste qui n’a cessé de se peindre. De s’interroger, de se ressourcer, de se reconstruire dans des dizaines d’autoportraits (d’après l’ouvrage de Fernandez, « Soixante autoportraits à l’huile, vingt à l’eau forte, dix au crayon, soit une moyenne de deux autoportraits par an. Peut-on attribuer uniquement au souci professionnel d’étudier la figure humaine, les variations de la physionomie, un penchant qui révèle une forte angoisse d’identité ? »).
Le Rembrandt de Stelling est un Rembrandt intime. Nous le voyons surtout dans l’environnement des trois femmes qui se sont succédé dans sa vie, de ses enfants, de rares amis. Ses démêlés avec la bourgeoisie d’Amsterdam, son goût des dérives dans les bas quartiers de la ville, son plaisir à s’encanailler et à se déguiser sont à peine évoqués par quelques allusions.
Mais peut-être faudrait-il commencer par exalter la beauté du film de Stelling, la chaleur d’une photo extraordinairement précise, sensuelle dans le contact du bois ciré, du velours des vêtements, du froissé des draps de lit (lits d’amour ou lits de mort, plis durcis des textiles rêches). Stelling sait faire sentir la vie des matières inertes, la palpitation des fibres du chêne – à la manière d’un Bresson ou d’un Tarkovski. Son film presque dépourvu d’extérieurs est pourtant un hymne à la nature, un chant panthéiste qui prend place aux côtés du Miroir, par exemple… La vénérable reliure d’un livre, l’huisserie poussiéreuse d’une fenêtre, l’argent ciselé d’un casque, comme les natures mortes du Grand Siècle, et mieux que ces natures mortes car le cinéma les enrichit d’une palpitation infime, d’une fébrilité qui sont celles de la lumière captée dans la durée sont de bouleversants moments de vie. La beauté des objets, le jeu de la lumière sur les choses ne sont jamais gratuits. La beauté est là, palpitante, pour qui la voit. (Jean-Pierre Jeancolas, Positif, 1982, extraits)
Pays-Bas - 1977 - 1h47 - VOSTF - 1,22 Go résolution DVD - ED distribution - avec Frans Stelling, Ton de Koff, Haneke Van de Veld, Lucie Singeling, Aya Gil…