Grand-Soir.jpgÉcrit et réalisé par Benoît Delépine et Gustave Kervern, avec Benoit Poelvoorde, Albert Dupontel, Brigitte Fontaine, Areski Belkacem, Bouli Lanners, Serge Larivière, Gérard Depardieu, Barbet Schroeder, Yolande Moreau, Miss Ming, Stéphane Durieux, Chloé Mons, Didier Wampas…

Nous sommes tous des punks à chien ! C’est l’étrange devise à laquelle vous vous rallierez tous au bout de l’heure et demie du nouvel opus jubilatoire des complices grolandais Delépine et Kervern, au sommet de leur forme libertaire, au sommet de leur art de la mise en scène aussi. Il faut dire que Not (aka Benoit Poelvoorde), qui porte son pseudo pas franchement engageant gravé sur son front, est un punk à chien plutôt atypique. Déjà son toutou, un joli petit Jack Russell, n’a rien d’un molosse menaçant. Et puis Not a un papa et une maman (incarnés par l’incroyable duo Areski et Brigitte Fontaine) qu’il aime sincèrement et à qui il rend visite tous les dimanches. Un papa et une maman qui tiennent « La Pataterie », un de ces restaurants franchisés plantés dans une affreuse zone commerciale comme il y en a partout au sortir des villes. Alors forcément ils pèlent des patates encore et encore…

C’est dans ce centre commercial cauchemardesque que zone Not, mendiant le jour quelques yaourts aux clients du supermarché, squattant la nuit dans les maisons de jardin pour enfants. C’est là aussi que travaille Jean-Pierre (Albert Dupontel), son frère, son exact opposé : il est marié, père de famille, surmené, énervé, vendeur obsessionnellement consciencieux dans un magasin de literie, un vrai petit soldat de la société de consommation. Autant dire que le repas du dimanche, entre les frères et leurs parents, tient du dialogue de sourds, comme on le constate dans cette scène d’ouverture géniale où les deux frangins se lancent dans deux monologues parallèles, parfaitement imperméables l’un à l’autre, évoquant les chanteurs en canon des polyphonies corses ! Au départ donc, entre eux, c’est l’abîme. Et puis, difficultés professionnelles et conjugales de Jean Pierre aidant, les deux frères qui se croyaient ennemis vont peu à peu se rapprocher : Jean-Pierre pète les plombs, Not est le seul à venir à son secours, lui prodiguant au passage un cours accéléré de pratique de la liberté et de la saine rébellion… Et c’est bien une réjouissante ode à la liberté que nous chante le duo de réalisateurs, en même temps qu’ils nous lancent une invitation à faire un pas de côté – pour ne pas dire à mettre un grand coup de pompe dans le carcan du système. Les frères réunis dans la galère vont décider de préparer leur grand soir : après tout, les peuples arabes ont réussi leur révolution, alors pourquoi pas eux ?

Delépine et Kervern se sont toujours attachés aux sans grade qui refusent l’inéluctable et entrent en résistance. Avec Le Grand soir et ses deux héros qui décident de briser l’engrenage tyrannique de la consommation, les réalisateurs creusent de plus belle leur sillon contestataire radical et rigolard. La force de leur cinéma, c’est aussi de glisser poésie brute et humour burlesque dans tous les coins de l’écran, dans chaque épisode du récit, y compris les plus tragiques. Un suicide à la campagne devient ubuesque, la tentative de Dupontel de s’immoler par le feu ou son combat singulier avec un arbuste deviennent de grands moments drolatiques.

Comme on vous le répète inlassablement depuis Aaltra, Delépine et Kervern sont de vrais metteurs en scène : leur sens du cadre, de l’espace, du coq-à-l’âne visuel donnent une dimension épique, quasi-fantastique, au cadre déshumanisant de la zone commerciale, avec ses parkings gigantesques, ses boutiques mondialisées, ses caméras de surveillance inquisitrices. A part ça les acteurs sont formidables, tous autant qu’ils sont, pas une seule fausse note, et la bande son est au diapason, rythmée par de grandioses scènes de concert des Wampas.

France - 2012 - 1h36 - 2,05 Go résolution HD 720p (1280X720) - AD Vitam.