Mammuth.jpgÉcrit et réalisé par Benoît Delépine et Gustave Kervern, avec Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Anna Mouglalis, Isabelle Adjani, Bouli Lanners, Benoît Pœlvoorde, Miss Ming, Dick Annergan, Gustave Kervern, Siné…

On écrit « Mammuth » mais on pense « mammouth », forcément. Énorme, imposant, massif, titanesque… on pourrait continuer ainsi la liste et manier l’hyperbole car Depardieu, alias Serge Pilardos, surnommé « Mammuth » à cause de toute cette masse physique peut-être mais à cause surtout de sa moto du même nom… Gérard Depardieu donc porte la bête avec son immense talent, mélange inné de force tranquille dévastatrice et de tendresse désarmante. Et alors, ça donne quoi, Depardieu chez Delépine et Kervern ? Ça donne un objet cinématographique à nul autre pareil, beau et fou et tendre et rugueux, où la patte de nos deux (ben et) gus est identifiable dès les premiers instants mais où nous mettons pourtant le pied sur une planète nouvelle, parce que Depardieu, jamais vu comme ça, est à lui tout seul un continent inexploré. Et pas question de se livrer au petit jeu bêta du « est-ce que c’est aussi bien que Louise Michel, aussi barré qu’Aaltra, aussi brut et aride qu’Avida ? »… Embarquez-vous sur la Mammuth et vous verrez bien ! Tout ce qu’on en dit, nous, fidèles admirateurs des deux Grolandais volants, c’est que le voyage est ébouriffant.

Serge Pilardos est un bosseur. Toute sa vie il a trimé. Des boulots à sa mesure de balèze : manutentionnaire, videur de boîte de nuit, fossoyeur ou équarrisseur, le dernier en date. La boucherie, ça lui allait bien : tailler dans la barbaque, jouer du couteau autour de l’os pour sculpter un jambon bien dodu, c’était du nanan pour ses grosses paluches. « C’était » car l’heure du pot d’adieu a sonné (séquence inénarrable !) : la retraite, un truc auquel il n’avait jusqu’alors jamais songé, lui tombe sur la tronche aussi sec qu’un coup de pistolet d’abattage derrière les oreilles du bovin innocent. Le voilà dans son petit pavillon exigu, à traîner dans les pattes de maman (et quelle « maman » : la Moreau, la Yolande !), préposé aux courses dans le supermarché où elle officie en qualité d’hôtesse de caisse. Il faut le voir, errer avec sa chevelure longue et peroxydée dans l’allée des surgelés ou au rayon boucherie, poussant un caddie ridiculement petit devant son bide aussi imposant que son pif, à la recherche d’un peu de contact humain, d’une parenthèse à l’ennui.

Heureusement, l’administration française veille : afin de pouvoir toucher un pécule misérable à taux plein, Serge doit pouvoir présenter des justificatif de tous les boulots de sa vie et forcément, il lui en manque. L’occasion (presque) rêvée de débâcher sa vieille Mammuth des années 70 pour partir en virée solitaire à la recherche des précieuses et ridicules petites attestations d’emploi. Au fil de la balade, bien entendu, la paperasse passera à l’as pour laisser place à quelque chose de plus profond, et la quête du jeune retraité se transformera en road-movie poétique et mélancolique. C’est que le Serge, il est comme l’artichaut : bien dodu en dehors avec pilosité abondante au-dessus, le tout dissimulant secrètement un vrai cœur tendre.

Et c’est bien là qu’il faut trouver la pépite : enfouie au beau milieu de rencontres toutes plus barrées les unes que les autres et de situations à la fois absurdes, cocasses et décalées, nichée au creux de l’humour corrosif et des vannes décapantes se niche le portrait éblouissant d’un colosse aux pieds d’argile, d’un travailleur banlieusard ordinaire, secret, taiseux et amoureux de sa caissière de femme qui va, le temps d’une balade en Mammuth, vous faire décoller. Très loin, très haut, ailleurs…

France - 2010 - 1h31 - 1,95 Go résolution HD 720p (1280X720) - AD Vitam.