Documentaire de Sébastien Lifshitz, avec Marie-Pierre Pruvot alias Bambi. « On ne naît pas femme, on le devient. » (Simone de Beauvoir).
C’est le magnifique portrait d’une très grande dame. Devenue sublime depuis le moment où elle s’est faite femme jusqu’à aujourd’hui, au soir de sa vie, quand, toujours aussi élégante et radieuse, elle raconte avec lucidité, avec sérénité et avec une classe folle son parcours hors norme, unique, fait de courage tranquille et d’intelligence tenace. Un destin qui est une leçon de liberté pour chacun. Marie-Pierre est née Jean-Pierre dans l’Algérie française des années quarante. Un petit garçon timide et légèrement introverti, coupable d’une passion immodérée pour les robes de ses sœurs. Une fille dans un corps de garçon, qui se révèle définitivement quand le célèbre « Carrousel » de Paris, fameux cabaret de travestis qui faisait la joie de tous, y compris des familles, passe par Alger. Jean-Pierre/Marie-Pierre a dix-sept ans. Sa décision est prise, elle doit devenir comme ces garçons/filles qui déroulent sur scène les standards du music-hall avec plumes et paillettes, plus belles que certaines danseuses nées sans zizi entre les jambes.
Sébastien Lifshitz, réalisateur du formidable Les Invisibles qui nous a tous bouleversés au plus profond, aurait pu faire de Marie-Pierre/Bambi un de ses personnages gays et lesbiens parvenus à un âge vénérable qui racontaient leur vie et leur combat à une période où l’homophobie était la norme. Mais Bambi, au-delà de sa célébrité, était tellement singulière qu’il a préféré lui consacrer un nouveau film. Et il fallait bien cette toute petite heure (on resterait bien avec Bambi une de plus) pour raconter un tel parcours. Les images d’archives rares nous font découvrir les coulisses du music-hall de travestis des années cinquante parisiennes, un milieu qui fascinait (le cabaret ne désemplissait pas) tout en provoquant l’ire et l’opprobre des moralisateurs. Les commentaires tragicomiques du document d’époque montrent à quel point ce troisième genre relevait pour le journaliste des années cinquante de la perversion pure, voire de la psychiatrie. Et Marie-Pierre raconte ce rejet, ces fractures, cette coupure avec sa famille, sauf avec sa mère qui finit par la rejoindre et par accepter avec amour cette jeune femme qu’est devenue le petit garçon qu’elle a mis au monde. Les séquences où le film fait revenir Bambi dans l’Algérie de son enfance, qui a évidemment beaucoup changé, sont d’ailleurs particulièrement touchantes.
La grande beauté du film de Sébastien Lifshitz est de montrer ce personnage de transsexuel non comme une victime – étiquette souvent utilisée parce que tellement confortable pour celui qui la colle – mais bien comme un être doté d’une force de vie exceptionnelle, qui est allé jusqu’au bout de ses choix, de son désir impérieux d’être femme : fait rarissime à l’époque, Bambi prit non seulement les hormones indispensables mais se fit opérer en Amérique du Sud. Et le résultat prouve à quel point elle avait raison : Bambi fut et est toujours une femme splendide. Et d’une intelligence, d’une subtilité rares, comme le prouve le tournant qu’elle a su prendre après ses années music-hall, après ses années strass et paillettes… Mais on ne vous en dira pas plus à ce sujet, pour vous laisser le plaisir d’entendre Marie-Pierre vous raconter elle-même – elle le fait merveilleusement bien – sa reconversion professionnelle et son épanouissement amoureux. Un film formidable décidément, qui nous captive, nous émeut, nous rend heureux en déboulonnant tous les préjugés et les idées fausses. Bambi pour tous !
France - 2013 - Durée totale 1h33 (film 58 mn plus en bonus 35 mn de scènes inédites) - 1,17 Go résolution DVD - Épicentre Films.