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Un film d’Aleksei Fedorchenko, scénario de Denis Osokin (Prix de Critique internationale et Prix de la meilleure photographie, Festival de Venise 2010)

Les plus beaux voyages au cinéma sont souvent les plus inattendus. Le Dernier voyage de Tanya est la preuve que ces aventures précieuses sont encore possibles, même lorsqu’on se croit rassasié de belles images, de belles histoires, de beaux personnages. Elle nous restera longtemps après, l’infinie délicatesse de ce film d’un cinéaste russe jusque là inconnu (de nous en tout cas), comme le souvenir d’une tendre et déroutante balade au cœur d’un paysage aussi triste qu’émouvant, une promenade avec l’amour et la mort, comme dirait John Huston.

Tanya est morte et ce voyage est son dernier. Miron, son mari, ne veut pas la livrer à la morgue, encore moins l’enfermer entre quatre planches, il veut accomplir avec elle l’ultime traversée, celle qui se pratique encore selon les rites ancestraux des Mérias, ancienne tribu d’origine finlandaise qui depuis longtemps s’est laissée absorber par la Russie mais dont les traditions persistent. Mourir comme une Méria, c’est partir en fumée au bord d’un fleuve et renaître au milieu des flots, retourner à l’eau comme on revient au liquide originel maternel, là où tout a commencé. Mais Miron a besoin d’aide, pour des raisons pratiques d’abord, sûrement aussi parce qu’il lui faut une oreille, un témoin, un vivant qui pourra écouter les confidences de son chagrin et de son amour infini pour Tanya, c’est aussi de la sorte de que le deuil pourra doucement faire son travail.

Aist travaille dans l’usine de papier que dirige Miron, il est photographe amateur, un peu écrivain aussi et habité par cette tribu des Mérias dont il serait un descendant. C’est lui que choisit Miron pour l’accompagner, pas tout à fait par hasard, on le comprendra, et il accepte de le suivre dans cette drôle d’aventure. Après la préparation soigneuse, amoureuse, du corps de Tanya (séquence magnifique, sans un mot, d’une douceur déchirante), les voilà tous les deux partis sur la route, avec la femme morte couchée sous une couverture à l’arrière du véhicule, et deux oiseaux en cage qu’Aist n’a pas voulu abandonner chez lui. L’équipée pourrait sembler glauque, elle pourrait être sinistre, et le silence pourrait peser comme du plomb mais le souvenir de Tanya et le chant joyeux des bruants illuminent la traversée. Miron évoque les souvenirs heureux, parfois même coquins, de sa vie avec sa bien-aimée, et l’on comprend alors combien son amour est débordant, généreux et immortel. Entre les deux hommes, il n’y aura ni conflits, ni ressentiment, ni heurts, juste une complicité discrète, tout entière concentrée sur Tanya. Une fois de plus on est surpris, conquis par cette douceur, par cette sérénité communicatives…

Au fil du périple, par quelques retours en arrières tout en finesse, on découvrira aussi la vivante Tanya, toute de fesses et de rondeurs, toute de seins et de blondeur, une invitation à la volupté, débordante de tendresse, offerte, complice et généreuse. On se dit alors que les Mérias ont tout compris en appréhendant le monde par ces deux dimensions, charnelle et spirituelle, et l’on veut bien croire comme eux non pas en un dieu, mais au caractère sacré de l’amour et de l’eau (si les Mérias ont sans doute vraiment existé, il est probable que toutes les précisions sur leur culture, leurs rites amoureux et funéraires, soient une invention du réalisateur, mais c’est peut-être même encore plus beau comme ça).

(Ovsyanki) Russie - 2010 - 1h14 - VOSTF - 1 Go résolution DVD - Memento Films - avec Igor Sergeyev, Yuriy Tsurilo, Yuliya Aug, Viktor Sukhorukov…