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Écrit et réalisé par Sudabeh Mortezai

Vous n’êtes pas prêts d’oublier le regard sombre et déterminé de Ramasan, ce petit bonhomme magnifique de onze ans, prêt à tout, comme un jeune loup orphelin grandi trop vite, pour protéger sa famille. Ramasan est un garçon d’origine tchétchène qui vit avec sa mère et ses deux sœurs cadettes à Macondo, un immense ensemble construit dans les années cinquante dans la banlieue de Vienne. À l’époque le quartier accueillait avant tout les exilés des pays de l’Est communiste, aujourd’hui s’y réfugient une vingtaine de nationalités de migrants, essentiellement tchétchènes, afghans et somaliens. Le père de Ramasan est mort à Grozny, à des milliers de kilomètres, sous les balles des Russes et de leurs complices : et le gamin passe chaque jour de longues minutes devant son portrait et son sabre qui trônent au milieu de l’appartement familial.

On comprend en quelques scènes que, malgré ses 35 kilos tout mouillé, Ramasan est l’homme de la maison, qui surveille de près ses jeunes sœurs pendant que leur mère travaille. Parlant couramment allemand alors que sa mère tâtonne, c’est également lui qui est là pour toutes les démarches en cours concernant leur demande d’asile, rendue compliquée par l’absence de certificat de décès du père. Ramasan trouve sa place entre les tâches qu’il accomplit, indispensables à sa mère qu’il adore plus que tout, et les parties de foot avec les autres enfants de réfugiés plus ou moins turbulents. C’est alors qu’entre dans le tableau Issa, un ami du père qui rapporte quelques photos de lui et une montre qu’il lui a confiée pour son fils avant de mourir. Mais Ramasan, au lieu de se réjouir, va voir en cet homme pourtant bienveillant et prévenant un rival potentiel dans l’attention de sa mère.

Cinéaste d’origine iranienne elle-même arrivée en Autriche à l’âge de Ramasan, Sudabeh Mortezai a puisé dans ses propres souvenirs pour donner une authenticité captivante à ce film splendide, tourné sur les lieux mêmes du camp de réfugiés de Macondo, et interprété exclusivement par des « acteurs » d’origine tchétchène. La réalisatrice décrit remarquablement le racisme larvé d’une partie de la population autrichienne, l’incompréhension fréquente de l’administration, le choc des cultures, le désœuvrement des jeunes réfugiés qui conduit à la petite délinquance, mais aussi l’ambiguïté de la communauté des réfugiés tchétchènes, gangrenée par le patriarcat omnipotent, les petits parrains locaux, le poids de la religion et des traditions marquées par un sens obsessionnel de l’honneur auquel tente de se conformer Ramasan. Le tout jeune Ramasan Minkailov est absolument extraordinaire, dans la malice, dans l’obstination, dans le doute et il sait faire passer son personnage des réflexes de l’enfance pas encore envolée aux prises de conscience d’un âge adulte trop tôt endossé. Très beau personnage, très beau film.

(Macondo) Autriche - 2014 - 1h35 - VOSTF - 1,41 Go résolution DVD - Memento Films - avec Ramasan Minkailov, Aslan Elbiev, Kheda Gazieva, Rosa Minkailova, Iman Nasuhanowa, Denise Teipel…