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Écrit et réalisé par Régis Sauder.

Vous vous souvenez peut-être de l’intervention du président Sarkozy à propos de La Princesse de Clèves, le roman de Madame de La Fayette : « j’ai beaucoup souffert sur elle » disait-il… Une façon de signifier que l’enseignement d’une telle œuvre et ceux qui l’enseignent sont à côté de la plaque et qu’on ferait mieux d’apprendre aux jeunots des choses plus utiles. Il n’est pas question de Nicolas Sarkozy dans le film, mais on ne peut s’empêcher de voir dans ce merveilleux moment de grâce et de délicatesse une forme de réponse éclatante et classieuse à sa démagogie vulgaire, couillonne et méprisante.

Nous, Princesses de Clèves est un film tout en grâce, où une classe de lycéens de la banlieue nord de Marseille, un quartier « difficile » comme on dit, ne se contente pas de jouer les phrases délicieuses du premier roman de la langue française avec une élégance et une saveur épatantes, mais prolongent le texte de confidences faisant apparaître ainsi les concordances évidentes entre les mots de Madame de Lafayette et leur vie. Leurs familles viennent de tous les pays du monde et, du lycée à leur intimité familiale, rien des frémissements de l’amour, des hésitations du désir, du doute, de la solitude, du mal être… évoqués dans le roman ne leur est étranger. Et les conseils que Madame de Chartres donne à sa fille en 1558 ressemblent comme deux gouttes d’eau aux conseils que leur donnent leurs parents aujourd’hui.
« L’amour était toujours mêlé aux affaires et les affaires à l’amour »… Qu’ils soient seuls, face à la caméra, ou avec leurs parents, leurs amis, ils sont la démonstration que la plus grande réussite de leurs enseignants est d’avoir su leur donner, dans ce monde de brutes, le goût de la subtilité, le sens de l’écoute, le plaisir de la musique des mots… les aidant ainsi à affiner leur conscience du monde dans lequel ils évoluent. Le lycée semble tout à coup palais immense et les immeubles, sur fond de ciel d’orage, prennent une allure qu’on ne leur connaissait pas, eux-mêmes semblent valorisés par le texte… Est-ce parce que la caméra sait si bien les suivre et les aimer qu’on les trouve si touchants et si beaux ? Moment de grâce, ce film non seulement parle remarquablement des jeunes, donne le goût de la littérature française, donne à voir la richesse culturelle de la banlieue de Marseille comme aucun autre, mais il dit toute la noblesse d’un travail d’enseignant fait avec passion.

France - 2010 - 1h10 - 800 Mo résolution DVD - Shellac - avec Abou, Albert, Aurore, Mona, Morgane et d’autres lycéens du Lycée Diderot à Marseille… D’après une idée originale d’Anne Tesson.